Publié le mardi 07 octobre 2025
L'œuvre du mois d'octobre
Utiliser l’art pour surmonter ou pour tenter de comprendre les absurdités et la violence de la guerre n’est pas l’apanage des artistes modernes. Dès l’Antiquité, les tragédiens grecs, tel Eschyle, écrivaient des pièces traitant des horreurs des guerres et celles-ci, semble-t-il, des vertus thérapeutiques pour les vétérans des combats au sein des cités. Si la forme diverge, la peinture, la musique ou la photographie peuvent, elles aussi, remplir un rôle similaire.
Dans Ghosts in the Landscape. Vietnam Revisited, Craig J. Barber utilise la photographie comme médium pour comprendre son histoire personnelle. Entre 1966 et 1967, alors jeune Américain de 20 ans, il est rempli d’idéaux et de nationalisme. Il part au Vietnam comme engagé volontaire dans la guerre débutée en 1955 et qui s’achèvera en 1975 par la défaite des États-Unis. À l’instar de toutes les guerres, celle du Vietnam fut le théâtre d’atrocités, d’injustices et de violences. Elle marqua également un tournant dans le photojournalisme. Les reportages couleur, imprimés dans les magazines et relatant précisément les horreurs du combat, ont eu un impact considérable sur l’opinion publique et favorisé les prises de conscience et les luttes massives pour la paix. Pour Barber, comme pour des milliers d’autres, ce conflit est un traumatisme qui le suivra tout au long de sa vie. Il décide donc, en 1994 et en 2004, de retourner au Vietnam, sans savoir ce qu’il part y chercher ou l’accueil qui lui sera réservé.
Dans un ouvrage réunissant les images produites lors de ses deux voyages, il livre un long récit où il raconte sa confrontation avec ces lieux chargés de mémoire et souvent identiques à ses souvenirs. Il explique y « naviguer chaque jour à travers les pays de ses émotions ». Un retour et une redécouverte dont la photographie se fait témoin, l’aidant à transcrire visuellement ses ressentis.
Pour ce faire, le photographe choisit d’user du procédé au sténopé, nécessitant de très longs temps de pose. Il crée lui-même ses dispositifs et les place dans des lieux où sa mémoire s’éveille. La durée d’exposition donne cette impression de vide dans les photographies. La vie humaine ou animale ne s’enregistre pas à travers l’objectif. Barber réalise ensuite des tirages par contact au platinotype sur papier aquarelle. Il renforce, par l’usage de ces techniques anciennes du sténopé et du platinotype, l’aspect « souvenir » de ses images. Il nous semble regarder au cœur même de sa mémoire dans des tirages aux riches tonalités de noir et de gris.
De ses images, il compose des diptyques ou des triptyques. Il accentue par là même l’impression de récit et de déambulation dans le territoire. Ce travail a trouvé un aboutissement dans de nombreuses expositions, dont une au Musée de la Photographie en 2004, et dans la parution d’un livre, Ghosts in the Landscape, en 2005.