Publié le mardi 03 juin 2025
Œuvre de juin
Le Musée a présenté, entre septembre 2022 et janvier 2023, une rétrospective sur la photographe Lisette Model. Son travail, d’intérêt artistique majeur, a justifié par la suite une demande d’acquisition auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette dernière soutient ses musées reconnus en aidant à l’achat d’œuvres d’art, mises ensuite en dépôt au sein de leurs collections. La photographie faisant l’objet de l’œuvre du mois de juin est donc arrivée par cet intermédiaire au Musée de la Photographie. Elle offre l’occasion de revisiter le parcours singulier de la photographe Lisette Model.
Née à Vienne en 1901 dans une famille bourgeoise d’origine juive, la petite Élise Amélie Félicie se fait rapidement surnommer Lisette. En 1926, deux ans après le décès de son père, sa mère quitte l’Autriche pour rentrer en France, son pays natal, et s’installer à Nice. Lisette, quant à elle, poursuit son chemin à Paris. Embrassant d’abord une carrière de musicienne et chanteuse, elle se tourne vers la photographie à trente ans. Formée auprès de Rogi André, photographe et peintre, elle suivra ensuite l’enseignement de Florence Henri. Elle rencontre autour de 1930 Evsa Model, peintre d’origine russe, qui deviendra son époux. Ils quittent l’Europe en 1938 pour les États-Unis. Là-bas, Lisette poursuit son œuvre photographique : fascinée par New York et les Américains, elle suit le conseil donné par Rogi André : « Ne prends jamais [en photographie] ce qui ne te passionne pas ». En 1940, le MoMA acquiert plusieurs de ses images et elle entre en contact avec la scène photographique américaine : Edward Steichen, Imogen Cunningham, Ansel Adams… Elle travaille pour plusieurs magazines, dont PM’s Weekly ou Harper’s Bazaar. À partir de 1951, elle devient professeure de photographie à la New School for Social Research de l’Université de Columbia dans l’État de New York. Parmi ses élèves, nous retiendrons notamment les noms de Diane Arbus ou Larry Fink. Son métier d’enseignante ne l’empêchera pas de continuer à prendre des photographies bien qu’il prendra, petit à petit, le pas sur sa carrière de photographe.
L’œuvre du mois est issue de sa première série photographique qu’elle réalise à Nice, à l’occasion d’un séjour chez sa mère, aux alentours de 1933-1934. Les années 1930 sont charnières dans l’histoire européenne et mondiale. Les tensions politiques sont palpables, l’économie est au plus mal après le krach boursier de 1929, les membres de la classe ouvrière se réunissent pour créer des syndicats et réclamer davantage d’égalité sociale et de meilleures conditions de vie. La photographie devient, elle aussi, instrument de lutte. Loin d’être activement engagée dans un parti de gauche, Lisette Model est néanmoins sensible à ces mouvements qui traversent son époque. Lors de sa visite à Nice, elle observe le mode de vie luxueux des bourgeois, profitant des douceurs de la fameuse Promenade des Anglais. Elle a sans doute pu constater et être révoltée par la différence entre leur opulence et la pauvreté qu’elle photographie par ailleurs à Paris. Alors, avec son appareil, elle décide d’exposer sans concession ces individus. Elle place son objectif plus bas que les sujets, en contre-plongée, réalise un cadrage très rapproché, centré uniquement sur les personnages. Ce choix de prise de vue donne une légère déformation à l’image : les sujets sont monumentalisés, avec des traits accentués, amplifiés et loin d’être à leur avantage. Cette série, Lisette Model la propose au magazine français à sensibilité communiste Regards. Elle y est publiée en février 1935, accompagnée d’un texte signé Lise Curel, pseudonyme de l’artiste, où elle ne mâche pas ses mots pour dénoncer cette bourgeoisie : « La Promenade des Anglais est un jardin zoologique où sont venus se vautrer dans des fauteuils blancs les plus hideux spécimens de la bête humaine. ». Cette première série photographique annonce une œuvre où son regard franc et indocile sera toujours maître et moteur de sa transmission photographique.