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Publié le jeudi 01 avril 2021

Œuvre d'avril

« La maison des fous », tel est le nom donné à ce lieu par les habitants de la ville de Smila, en Ukraine. Ils y sont rares les visiteurs, très rares. Viviane Joakim fut l’un d’entre eux. En 2003, elle pousse, pour la première fois, la grille menant à cet hôpital psychiatrique, elle y reviendra ensuite durant trois étés. Dans ce lieu hors du temps, les odeurs de sueur, d’angoisse, de chlore et de tabac âcre s’entremêlent, les équipements sanitaires sont sommaires, presqu’inexistants et délabrés, l’alimentation y est triste et le linge usé. Les couleurs des murs sont obsédantes et l’atmosphère pesante. Ceux qui y vivent, des hommes, des femmes mais aussi des enfants – de tous âges, de toutes conditions, frappés de maux divers – sont ceux que la société a mis à l’écart, ceux que l’on a oubliés.

Viviane Joakim, est allée à leur rencontre, jour après jour, lors de chacun de ses séjours. Ce qu’ils ont été, ce qui les a amenés ici, quel(s) drame(s) les a tant bouleversés importe(nt) peu dans ces photographies. Ce ne sont pas des personnes malades qu’elle souhaitait photographier, mais bien des personnes telles qu’elles s’offrent à elle. Avec une justesse, une pudeur et une tendresse infinie, la photographe a immortalisé toute la force d’un regard, l’intensité d’une émotion, la douceur d’un moment partagé. Et surtout, elle est parvenue à leur rendre toute leur dignité. Bien qu’il ne s’agisse parfois que de fragments d’eux-mêmes, ces photographies dévoilent ce qu’ils ont accepté d’offrir, de partager avec la photographe, et cela n’a pas de prix. Depuis combien de temps n’avaient-ils été regardés autrement que comme des souffrants ? Depuis combien de temps n’avaient-ils plus croisé le regard de quelqu’un d’extérieur et partagé un moment avec lui ? Depuis combien de temps ne leur avait-on pas montré combien ils pouvaient exister pour quelqu’un d’autre ?

Choisir un seul portrait à mettre en avant pour cette œuvre du mois s’avérait très difficile, chacun méritant que l’on s’y attarde. Le choix s’est alors porté sur cette photographie-ci, pour tout ce qu’elle permet d’évoquer, ce qu’elle raconte et ce qu’elle tait. L’instant partagé semble compter davantage que le portrait à prendre. Et c’est en cela sans doute que la démarche de Viviane Joakim est avant tout une démarche tournée vers l’autre avant d’être une démarche photographique.

Des âmes en peine, des cœurs à la dérive, des accidentés de la vie auxquels Viviane Joakim a réussi à rendre, le temps d’un instant, toute leur grandeur dans une série aussi belle que touchante. L’ensemble de cette série « Dousha Balit (Les âmes ont mal) », présentée au musée en 2007, est à (re)découvrir dans le livre éponyme disponible à la consultation dans notre bibliothèque.

photo article

Viviane Joakim, de la série « Dousha Balit (Les âmes ont mal) », Ukraine, 2003. Coll. Musée de la Photographie MPC 021/17.23.