L'œuvre du mois de novembre
La présence de ce qui semble, à première vue, être une peinture dans une collection dédiée à la photographie pourrait étonner. Il s'agit pourtant bien d'une photographie recouverte d'une couche d’aquarelle dont les coins ont été découpés – probablement pour s’adapter à un cadre.
La présence de ce qui semble, à première vue, être une peinture dans une collection dédiée à la photographie pourrait étonner. Il s'agit pourtant bien d'une photographie recouverte d'une couche d’aquarelle dont les coins ont été découpés – probablement pour s’adapter à un cadre.
 
 Récemment entrée dans la collection grâce au don d’un Ami du Musée, cette photographie est attribuée à Auguste Belloc. Né en 1800, ce photographe français débute sa carrière à Toulouse en tant que peintre de miniatures et aquarelliste. À l’instar de nombreux artistes de son époque, il s’intéresse à la photographie dès 1845. Il marque l’histoire de ce médium par ses nus académiques, destinés à servir de modèles pour les peintres, mais aussi par ses nus érotiques (voire pornographiques), généralement réalisés sous forme de vues stéréoscopiques, qui circulaient sous le manteau. Ces images licencieuses lui vaudront d’ailleurs de frôler l’emprisonnement en 1860, lorsqu’environ 5 000 photographies furent saisies par les autorités. Aujourd’hui, moins de 200 de ces images semblent avoir survécu. Parmi celles-ci, vingt-quatre vues stéréoscopiques sont conservées dans l'Enfer de la Bibliothèque nationale de France – la section réservée aux ouvrages érotiques présentant un intérêt artistique ou littéraire.
 
 Cette photographie s’inscrit dans la catégorie des photopeintures. Comme le précise Clémentine Leroy-Lemonnier, ce terme est un « mot fourre-tout à bien des égards, « photopeinture » désigne autant un daguerréotype teinté qu’une photographie légèrement rehaussée de couleurs transparentes, ou encore qu’une peinture masquant le dessin photographique sur lequel elle s’appuie »1. Dévoilées officiellement en 1855 à Paris lors de l’Exposition universelle, ces photographies entièrement repeintes susciteront autant d’émules que de détracteurs. Belloc semble d’abord appartenir au second camp. Dans son traité publié en 1858, il s’oppose à ce qu’il nomme le « coloriage des épreuves » et précise que « la couleur la mieux appliquée dépare toujours une belle épreuve »2. Mais il semble être davantage en leur faveur dans un traité daté de 1868 au sein duquel il invite à l’achat d’« une boîte de couleurs liquides à l'eau, produits chimiques remarquables, dont l'emploi est si facile que l'opérateur le plus étranger au dessin et à la peinture peut, en quelques minutes, colorier un portrait carte albuminé, et lui donner une grande valeur artistique »3.
 
 À la lecture des différents traités publiés par Belloc, on peut supposer qu’il a lui-même peint ses photographies – bien qu’il soit courant, à l’époque, de voir dans les coulisses des ateliers de photographes de discrets coloristes. Une autre photopeinture de Belloc issue de la collection de Frank Sweijd (récemment exposée à Bruxelles) présente la même palette. Dans le cas de cette photographie, la collection du Musée conserve le tirage original non colorisé, ce qui permet une intéressante analyse comparative. Pour cette œuvre du mois, nos recherches nous ont permis de découvrir d’autres photographies (peintes et non peintes) issues de la même séance de pose dans l’atelier de Belloc. Demeure toutefois la question du laps de temps entre la prise de vue et l’envie de Belloc d’intervenir sur ses photographies.
 
 Dans la pratique photographique de Belloc, ces photopeintures pourraient être perçues comme une manière discrète de défier la pudibonderie de certains esprits de l’époque, en rendant la nudité plus acceptable aux yeux du public. Une chose demeure cependant constante, ces ajouts picturaux continuent, encore aujourd’hui, de susciter des avis contrastés.
 1Clémentine Leroy-Lemonnier, La photopeinture en quête de définition (1860-1900) dans Photographica, n° 6, 2023, 198-219, p.200.
 2Auguste Belloc, Les quatre branches de la photographie : traité complet théorique et pratique des procédés de Daguerre, Talbot, Niépce de Saint‑Victor et Archer…, Paris : Chez l’auteur, maison centrale de Photographie Delahaye, Bureau du Cosmos, 1855, p.44.
 3Auguste Belloc, Le Retoucheur : traité complet de la photographie, de la retouche, du coloris des épreuves albuminées par les couleurs et le système, Paris, 1868, p.9.
 
  
                       Auguste Belloc, Nu à la balustrade, Paris, ca 1855. Épreuve sur papier salé aquarellée, tirage d’époque, 21,2 x 15,7cm. Coll. Musée de la Photographie MPC 2024/65
