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Publié le mercredi 01 juin 2022

Œuvre de juin

Les photographies de l’intimité du couple, et plus particulièrement celles réalisées une fois la porte de la chambre fermée, sont, sans doute par pudeur, relativement rares au sein de la photographie de famille ou, du moins, parmi les images montrées ou confiées par les donateurs.

L’album dont est extraite provisoirement cette œuvre du mois figure parmi les exceptions de la collection du Musée. Il débute sur un portrait du visage d’une femme, les pages suivantes nous la montrent quelques années plus tôt. Posant tantôt partiellement, tantôt complètement nue, ses cheveux soigneusement coiffés et ornés d’une fleur, la jeune femme joue le modèle pour le photographe. Ce dernier s’inspire de l’esthétique des années 1930 en découpant quelquefois, selon ses cadrages (souvent maladroits), des fragments de corps. La jeune femme prend la pose, parfois avec un grand manque de naturel ; elle détourne souvent la tête, ne regarde jamais, peut-être par timidité ou retenue, en direction de celui qui tient l’appareil ; elle se prête au jeu, de dos, de profil, sur le lit, devant la commode et jusque dans le jardin. La photographie extraite, plus pudique, est, de toutes, la plus naturelle et sans doute la plus spontanée. Sensible aux motifs qu’offre l’ombre du chemisier ajouré, à la sensualité du sein à peine dissimulé, le photographe saisit la délicatesse de l’instant et capture une image intemporelle.
 
La photographie de nu dans le cercle intime pourrait être datée autour des années 1890, c’est à cette époque que l’épouse, l’amante ou la muse remplace petit à petit le modèle débauché, mais également que l’appareil photographique commence à s’introduire dans les foyers. Dès les origines de la photographie, la production d’images de nus et plus particulièrement de nus féminins connait un vif succès. Il s’agit, dans un premier temps, d’une production commerciale destinée aux artistes, pour leur servir d’étude. Les modèles – souvent les mêmes que dans les ateliers d’artistes ou les académies – reprennent les poses et les attitudes des chefs-d’œuvre de l’art ou celles dictées par l’enseignement des beaux-arts. Certaines photographies aux intentions plus érotiques seront vendues clandestinement. La frontière entre nus académiques et photographies de charme ou (légèrement) érotiques se réduira au fil des années. Dès 1895, de nombreux artistes laisseront de côté la photographie de nu dite académique pour réaliser eux-mêmes leurs propres clichés dans le cercle familial. Un des exemples les plus emblématiques de cette pratique est Pierre Bonnard, avec ses portraits intimes de Marthe en extérieur ou au tub.


L’hypothèse que l’album issu de nos collections puisse être une étude pour artiste n’est pas à écarter complètement ; il peut également s’agir d’une demande de la jeune femme elle-même d’immortaliser sa beauté, d’un souhait du photographe que son modèle s’offre à l’appétit de son regard et de son appareil ou encore, plus simplement, d’un échange, d’un jeu (d’)amoureux.

photo article

Auteur non précisé, ca 1940. Photographie extraite de l’album n°95. Épreuve à la gélatine argentique,
tirage d’époque, 9 x 12,8 cm. Coll. Musée de la Photographie.