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Publié le mardi 01 mars 2022

Œuvre de mars

Le « bonjour » du marcheur, le bruit des talons sur le sol, le cri des enfants, l’essieu grinçant d’une calèche, autant de sons qui semblent s’échapper de cette photographie représentant une place génoise, en pleine journée, lieu d’activité et de passage. Ici une femme ajuste ses bijoux, là un petit garçon tente de semer son parent, et un peu plus loin un curieux scrute les rues sous sa fenêtre. L’activité grouillante d’une ville, un thème simple mais cher aux artistes car sujet à de multiples saynètes. L’atelier de Pieter Brueghel l’Ancien, dans les Pays-Bas espagnols du XVIe siècle, en fera de multiples démonstrations aussi fascinantes qu’énigmatiques. Quelques siècles plus tard, les modèles n’ont pas changé, l’Homme et son quotidien restent prétexte à l’inspiration de l’artiste. Changement il y a cependant et il est de taille, la lumière remplace à présent la peinture dans l’écriture de l’image. L’œil de l’artiste, lui, reste synonyme de patience et d’observation. Car le tout n’est pas d’installer un trépied et d’enclencher son appareil. Il faut du temps, de l’inspiration, de l’acuité dans le regard. Il faut attendre que la lumière naturelle soit celle qu’on désire, que les passants agencent leurs pas, il faut choisir le bon angle qui soulignera le dynamisme de l’ensemble.


Une mise en place qui requiert le talent d’un photographe ayant, de plus, expérience et connaissance de la pratique. Celui qui a réalisé cette image n’est effectivement pas novice en la matière. Alfred Noack, Allemand naturalisé italien sous le nom d’Alfredo Noack, est considéré par beaucoup comme « l’inventeur » de la Riviera italienne. Entendons par là qu’il a abondamment photographié la côte méditerranéenne de Nice à Gênes, produisant nombre d’images alimentant un imaginaire encore prégnant à l’heure actuelle. Après avoir quitté son Allemagne natale, Noack se retrouve à Rome où il apprend visiblement les rudiments de la photographie. Il voyage à travers l’Italie pour finalement poser ses valises à Gênes, dans les années 1860, où il ouvre un studio au cœur du centre historique. Daguerréotypiste dans les premiers temps, il se tourne rapidement vers le négatif sur verre et produit des instantanés de la vie citadine sur papier albuminé. Ports, architectures, maisons, places, cimetières, autant d’images de ville auxquelles viennent s’ajouter les thèmes plus picturaux des paysages marins ou alpins. Il laisse à sa mort quelque 4 000 négatifs sur verre qui rejoindront les collections de la ville de Gênes. Une ville qu’Alfredo Noack capture donc et de diverses manières.


La Piazza Corvetto, place ronde et point central des grands boulevards génois, est ici à la fois sujet et prétexte. Le photographe illustre la ville et les changements qui la touchent en cette seconde moitié du XIXe siècle et, par ce biais, nous en livre une vue historique. À cette dimension documentaire, s’ajoute celle esthétique : une organisation de l’ensemble où les rues rencontrent les points de fuite de l’image ; un angle de prise de vue qui englobe avec justesse la scène ; la lumière du soleil qui écrit parfaitement sur le négatif photographique. Cette photographie, à la double qualité, nous transmet alors un ressenti : une énergie foisonnante, propre à l’époque, et qui semble, par quelques artifices, prête à sortir du cadre.
 

photo article

Studio Artistico Alfred Noack (Allemagne/Italie, 1833-1895), 2/48. Genova. Piazza Corvetto. Gênes, ca 1870. Épreuve sur papier albuminé, tirage d’époque, 21.2x27.9 cm. Coll. Musée de la Photographie à Charleroi, MPC 98/48